Des questions...les réponses de Mathilde Bretillot

Laurent Denize D’Estrées
Agence 14 Septembre
Paris

Pourquoi face au mur ?
C’est fort un mur, le repère absolu d’un espace, sa frontière, sa gangue.
Sans mur, on ne peut pas jouer : le filtrer, le contourner, l’éviter, le percer, s’y appuyer.
On y accroche ce que notre regard veut choisir, on l’habille de souvenirs et d’imaginaire.
Je suis architecte d’intérieur, j’aime les murs, c’est la nourriture de mon crayon et de ma gomme.

L’enseignement est-il un miroir ?
Peut-être mais alors un miroir comme je les aime, ceux qui nous situent dans un environnement, où l’on voit les autres autour de soi, dans un regard discret, détourné.
Un miroir où claque la lumière, un miroir qui nous raconte et qui nous interroge.
En somme, l’enseignement est un miroir non pas de son propre reflet, mais le miroir de la projection possible.


Eric Jourdan
Designer
Paris

Toi qui es si française par ta culture, ton milieu, tes racines (ardechoberrichofrancomtoischarentais... c’est pour l’instant ce que j’ai identifié), j’ai remarqué que les objets ou tout ce que tu dessines fait rarement référence à cette culture française, point chez toi d’art décoratif, de réminiscence Louis XV, XVI et plus. Ton travail, c’est plutôt Le Corbusier à Chandighard ou “world”, on voit plein de choses qui viennent de partout et peut-être beaucoup le sud... et la modernité au sens historique du terme. Mais d’où vient tout cela ? L’Italie ? L’lnde ? Les voyages ? Martine ? Du vieil Empire français ? Sottsass... Tout cela est visible dans le bureau pour l île de la Réunion.
Ta question, si elle n’est pas tout à fait une réponse, est sûrement une sorte d’hommage. En tous cas, c’est ainsi que je la reçois, merci.
Cela me touche que tu puisses percevoir si distinctement tous mes ports d’attaches, que tu comprennes mon amour jamais rassasié pour les voyages, que tu puisses évoquer toutes ces images qui m’inspirent.
Comme le trait du crayon qui glisse, rien n’est figé, encore, encore et encore regarder, écouter, proposer, échafauder.
Comme j’aime pouvoir partager cela avec toi.


Marc Bretillot
Designer culinaire
Paris

Quelles sont tes valeurs originelles et nouvelles ?
Les mêmes : altruisme, curiosité toujours, analyse et inscription des projets dans la vie.
Aujourd’hui, je voudrais développer une meilleure maîtrise du potentiel de ce que je peux découvrir dans mes voyages.

Le temps qu’il nous reste, le temps que l’on alloue à une activité : un temps exclusif ou un temps partagé ?
C’est une question sur les priorités et l’espace temps.
Je continue à voir le temps comme un espace infini, dans lequel on peut faire infiniment de choses, avec une même énergie, et surtout avec la conscience que chaque instant nourrit l’autre.
Par contre, j’extrais de plus en plus du temps exclusif, les temps partagés étant mon quotidien depuis toujours.
Je découvre que le temps exclusif est une ressource très forte.
L’autre temps c’est celui du sommeil et des rêves.

Comment passes-tu de “qu’est-ce que je peux faire” à “qu’est-ce que je veux faire” ?
J’inscris toujours ce que j’entreprends dans une possibilité d’exécution, mais c’est vrai que je considère rarement que ce puisse être impossible, je transgresse au maximum la notion de l’impossible.
J’ai horreur des impasses...


Vincent Gevin
Illustrateur
Directeur artistique d’ElLITIS
Toulouse

Tu as vécu dans trois pays signifiants pour le design, est-ce que tu reconnais une identité propre à chaque pays ?
La France, chic et élégante du snob au bobo, superficielle et sensible.
L’Italie, sensuelle et intellectuelle.
L’Angleterre, technique et décalée.

Quelle vertu attribues-tu à chacun de ces pays ?
La France, le tiraillement très productif entre l’esthétique à tout crin et la quête du sens.
L’Italie, la vivacité, l’humour et la tradition de reconnaissance du design.
L’Angleterre, son sérieux et sa folie.

Comment organises-tu les importances liées à la vie professionnelle et à ta vie familiale intense ?
Je n’organise pas, je tente de ne pas subir en faisant l’une après l’autre les tâches nécessaires dans l’espoir de m’en libérer, de dégager du temps.
Mais je réalise que le temps dégagé est aussitôt vampirisé, donc j’apprends à ne pas dire tout ce à quoi je suis employée.
Je suis en train de faire le tri pour être mieux dans chacun de ces deux mondes, sans oublier le troisième oeil, celui de la vie amoureuse.


Pierre Balsan
Directeur de FENDI sur le marché asiatique
Hong Kong

Tu décides de lancer ta marque BE sur les marchés internationaux.
Ma première question est simple : Pourquoi ?
Mon objectif est de mettre en place une expertise singulière par sa faculté à proposer une recherche et une consultation de connivence entre des designers, artistes, intermittents…
Je souhaite ainsi répondre aux grands groupes par une interface non hierarchisée mais plutôt orchestrée, opérationelle à travers une mise en place personnifiée, riche et transgénérationelle dans tous les sens du terme.

Pourquoi aujourd’hui ?
C’est après ma longue expérience de designer en free lance, en tant qu’associée d’une entreprise, coordinatrice d’un pôle design en enseignement supérieur, que je perçois ce nouveau mode de conception comme étant une proposition mêlée de professionalisme et de légèreté, de réactitivité et de fraîcheur.
Une nouvelle façon d’être dans le projet : la maîtrise et la souplesse.
Il me semble que ce sont les enjeux d’aujourd’hui, le design est une pratique d’infiltration, il a sa place dans toute réalisation mais peut varier de position en fonction du contexte :
Conceptuellement, en amont de la mise en oeuvre,
Intermédiaire, entre le brief et la production,
En fin de course pour la communication.

Comment souhaites-tu mettre en scène les valeurs fondamentales de ta marque : transmission, apprentissage, patrimoine, savoir faire ?
Je définirais les valeurs ainsi :
Savoir-faire redécouverts.
Discussions des partis pris.
Transmission d’un mode opératoire.
En présentant le corpus de mon travail, réalisations éclectiques et contexte de commandes très variées.
Chaque projet comme un chapitre ou comme une nouvelle qui viendrait s’inscrire dans un recueil dont le fil conducteur serait :
“Design et savoir-faire au 21ème siècle, une nouvelle approche humaniste”.

As-tu vocation à faire évoluer ton projet vers un “compagnonnage” du 21ème siècle ?
Pas tout à fait dans la mesure où le compagnonnage renvoie d’une part aux artisans et d’autre part à la transmission.
Je mettrais l’accent sur la mise en place ponctuelle et dédiée d’un groupe de recherche lui même extrait d’un réseau plus large.
Je parlerais plutôt de phénomène de catalyse ou de programmation.

Quelle hiérarchie établis-tu entre la création d’un objet et son exécution ?
Pas de hiérarchie, je crois beaucoup plus à la connivence qu’à la hiérarchie.

Penses-tu qu’un objet design puisse être le résultat d’une inspiration collective ?
Un objet non, mais une collection oui.
La collection d’objets met en place les résonances des objets entre eux et répond donc à une définition conceptuelle qui permet plusieurs mises en formes.

Penses-tu qu’un projet design puisse être le résultat d’un travail collectif ?
Oui, il permet de définir la colonne vertébrale, les enjeux.


Daniela Danzi
Pandora Design
Milano

Cara Mathilde, pui che una domanda, mi piaccerebbe farti una richiesta :
E sono contanta di farla a te, perche penso che sei la personna piu adatta. Mi piacerrebe che tu designaci e produscesi, po esserre un ogetto, un giollleo, che si po scompore ma chi mantiene la propio identita e chi po vivere in due case o su due persone, non sembrando una meta de l’altra.
Quando sei in campagna o quando mi lascie da solla a Milano,
La reference culturale sono le sculture da viaggio di Munari.
Cara Dani, allora la risposta sara questo ogetto.


Pierre de Gastines
Designer
Directeur artistique
Paris

Quelle influence ton éducation a-t-elle sur ton style ?
J’ai reçu une éducation que l’on peut juger classique par son importance donnée aux “ valeurs “, j’ai aussi été très vite confrontée à la notion de cercle élargi, maison pleine, famille, amis, nouveaux arrivants. J’ai appris l’importance des lieux “ habités “ où les tribus se retrouvent et accueillent, une sorte de point de repère névralgique.
Mes voyages, mes temps à l’étranger, ont été mes espaces de liberté, mes conquêtes. Je ne saurais définir mon style, mais je peux parler de cette appartenance, de ma curiosité, de mon indépendance, qui nourrissent ma soif de faire en relation avec les autres, de tisser des liens.

Quand tu dessines librement un objet penses-tu d’abord à sa forme ou à sa fonction ?
J’accepte sa fonction comme une donnée et je lui donne une forme, une particularité.

Quand tu penses à un objet, le penses-tu pour toi ou pour les autres ?
Je le pense pour l’objet, je cherche ses qualités sensibles, c’est par ce biais que j’exprime mon attention aux autres.


Pierre Charpin
Designer
Ivry-sur-Seine

Nous savons bien que la question du projet ne repose pas seulement sur la question de la prestation. La question du don me semble une donnée fondamentale et particulièrement intéressante à questionner, qu’est-ce que l’on donne ou que l’on pense donner par le projet à son ou ses destinataires ? Le don n’est pas quantifiable, il n’est soumis à aucune condition (on peut même donner quelque chose à quelqu’un qui n’en veut pas), alors que la prestation l’est parfaitement. S’il est donc impossible de le quantifier, il est sans doute intéressant d’essayer de le qualifier, surtout si nous avons le goût de nous questionner sur notre propre pratique.
Et ceci m’amène aussi à te demander ce que tu considères comme essentiel dans ce que tu fais, ce sur quoi tu ne transiges pas.
Que demandait vraiment le petit prince dans “ dessine-moi un mouton “ ?
Cela pourrait paraître simple à prime abord, une réprésentation en quelque sorte, mais il veut la présence de ce mouton, alors il faut que ce dessin sorte de la feuille de dessin.
Que faut-il donner à ce dessin pour qu’il prenne une autre dimension ? Quelle dimension ?
Comment peut-il être à la fois le moyen et la raison de cet échange ?
Je pense que c’est là que se situe la question du don, qui ne peut se concevoir sans réception :
Car : Pas vu, pas pris.
On ne peut pas vraiment donner quelque chose à quelqu’un qui n’en veut pas, sinon cela tombe par terre, c’est piétiné, jeté, réduit à rien.
Par contre on peut donner envie de recevoir l’imprévu, le non encore envisagé et c’est là la partie la plus riche, la plus vivante.
Donner quoi et comment ? C’est ce “quoi” et ce “comment” qui est la mise en relation, qui est le projet, qui engage l’aller et retour de l’un à l’autre.
C’est difficile de définir cette consistance. C’est peut-être pour ça qu’un objet doit avoir une consistance réelle, comme une preuve de l’existence de cette relation possible.
Ce que je trouve essentiel dans ce que je fais, c’est la manière très différente, presque inverse, de travailler un objet ou un espace.
Objet : c’est l’attention que je porte à la consistance de l’objet dans sa force d’inertie, dans sa faculté de garantir ce qu’il est.
Espace : c’est le dessin de la souplesse que je cherche à transcrire dans les espaces. Je cherche à constituer des espaces libres.
Je cherche la conciliation mais je ne transige pas sur la qualité de la question posée, du sens ou de la place du projet dans la prestation.
Le projet n’est pas dans le sujet. C’est le sujet qui est dans le projet.


Ferruccio Laviani
Designer
Milano

“ Hai vissuto ed avuto esperienze con culture diverse come quella italiana, quella inglese, quella taiwanese. Di tutto questo in cosa ti senti più francese, italiana, inglese o asiatica ? ”
Sono francese per bene, come tu mi dici sempre, francese e borghese…
Francese che ama l’aria italiana e la vita sensuale.
Francese che accetta, più o meno, la sua aggrottata faccia inglese.
Francese che ha scoperto che gli piace tanto l’india e gli uomini con un fazoletto attacato alla vita come una gonna...cosi eleganti !

“Una domanda banale ma che a tutti i designer piace gli venga fatta: Qual’è l’oggetto che hai progettato che più ti piace o l’oggetto che vorresti che gli altri percepissero come più rappresentativo di te e del tuo lavoro ”
Direi che sono i mie paraventi di vetro e specchio: vedo tu, vedo me...

“ La vita: sesso, design e rock‘n roll ? Dai delle percentuali ”
Se la vita si vive al 100% allora il sesso ed il rock’n roll il 18%
il design 32%, mi rimangono 50 anni per inventarmi il resto del 50% !

“ Se dovessi tornate indietro che lavoro sceglieresti ? ”
Lo sai che volevo essere una Rock Star ma oggi sono felice di questo lavoro.
Perché si fanno cose cosi diverse e poi c’è ancora tutto quello che non ho ancora fatto.

“ Il viaggio che ti è più piaciuto ”
l’india

“ L’esposizione che ti ha più influenzato ”
Tony Cragg

“ Dove vorresti vivere ora ”
Tra l’italia e l‘india

“ Il profumo che più ti piace ”
Basilico e Citronella indiana

“ Con il tempo hai scoperto che ti piace molto dedicarti all’organizzazione scolastica ed all’insegnamento ( Reims etc.). E’ un’alternativa al tuo lavoro o parte integrante della tua ricerca come progettista ? ”
Essere in una scuola e come aver tempo per riflettere, tempo per poter pensare nuove domande per colore che stanno prepa rando il futuro, in un mondo sempre in movimento.
E’ un luogo dove poter sbagliare, provare, cercare.
E’ una ricerca più attraverso le persone che attraverso libri disegni solitari; mi piace tanto !

“ Il primo pensiero che ti passa in testa il mattino ”
Te assieme a qualcun’altro, che siete la mia vita.


Caroline Ziegler
Designer
Co fondateur de DITO collectif de designers
Paris

Qu’est-ce qui te porte à ce désir de réunir des personnes autour de tes projets, un peu comme une famille ?
Pour moi un projet trouve toute sa force dans la valeur d’échange, j’aime être un guide et garder les yeux ouverts sur d’autres possibles.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Souvent la littérature pour sa force d’entraînement des idées,
l’art pour la pertinence d’un objet concis, pour un espace imaginaire wide open, les films pour leur lien à une réalité fictive ou la fiction réélle.
Souvent, je visualise les formes du projet lorsque je suis en mouvement, soit en vespa, soit en train, en voiture, en bateau ou en avion.

Tu cuisines très bien les “restes”, comment pourrais-tu établir un lien de mode opératoire avec tes projets ?
Je dessine beaucoup, hors commandes. Ces dessins, une fois réalisés, deviennent mon bagage personnel et ils alimentent toujours, de près ou de loin, un nouveau projet parce que tout d’un coup, ce qui restait de l’ordre de l’intuition prend tout son sens dans un contexte donné.

Tu évoques toujours tes projets en insistant sur les matières et les couleurs, pourquoi ?
Parce que j’ai envie d’évoquer le toucher, le poids, l’odeur, le rapport à la lumière, les valeurs sensibles. Il me semble que c’est primordial dans ma manière de m’adresser aux autres.


Jean-Baptiste Sibertin Blanc
Designer
Directeur artistique de DAUM
Paris

Où trouves-tu les ressorts pour continuer à dessiner dans un monde encombré de tellement de choses inutiles et futiles ?
Je ne peux pas vivre sans dessiner, j’aime la matérialité.
C’est vrai que je m’adresse très rarement à l’industrie, pas d’encombrement massif.
Je ne pense pas que ce soit inutile de s’exprimer, d’exprimer une époque, de proposer d’autres langages pour d’autres discours.
Je pense que c’est une force et une joie d’avoir la capacité de prendre la matérialité par la pensée, de pouvoir passer le relais à celui qui va réaliser et nous le retourner pour voir si nous nous sommes bien compris. Comme quoi le plus sophistiqué des plans n’est pas le garant absolu d’un objet pensé. C’est la valeur d’échange la plus sûre mais la moins sensible.
C’est plus complexe, il faut un cerveau, un dessin, une main, une machine, un ordinateur, parfois un mode d’emploi …
Tout cela et rien moins que ça pour que la matière devienne un objet dans notre vie.
Oui, c’est grave et jouissif à la fois….


Gert Koster
Designer
Milano

Your portfolio doesn’t include any industrial design or mass produced products, but rather small series of limited editions. Is this a personal choise or……………
It is not a choice, it happens like that, I was expected in that field and I suppose it didn’t happen by accident: I am very attracted by materials and the sensitive power of hands, I find it much more exciting to see a shape appear from hands rather than a machine.
Also, I have always been dubious regarding mass production as I cannot see people around me as a mass, but as individuals.

Are you interested in doing a very industrial designed product, and what?
I am interested in components, either as part of an object, or as major elements of a collection like the heart of it. Those components can then be activated by peripherical objects more sensitive, that could be made in smaller number.

Your work is caracterized by beautiful circles, curves and holes………is there any symbolic meaning in this?
Feminity? Cycle? Danse? Serenity?
Yes, it’s always the shape wich comes naturaly from a sharp pencil, a soft brush, my finger over a body.

Do you think your family background has influenced your work?
Yes, I suppose, by being surrounded by quality and a numerous amount of objects, usefull and unsufull, which all had a word to name them.

Being mother of 3 boys, does it stimulate or block your activities?
In terms of time, it’s difficult to manage; in terms of number, it’s great to be overlapped; in terms of sexe, it’s rather amazing to be the only woman around (for some time only).
In terms of generation, I love the music they are listening to, they make me laugh and cry, they keep me alive.

Is there any material you prefer above anything else?
Clear glass, coloured glass.

How does sustainability relate to your work?
Not so much as a process to become reasonable and aware, but rather as an opportunity to invent new ways of living together.

Is there any future in design?
Of course, future is everywhere, it’s part of us, it’s starting the next minute.

Where do you think a next cultural / radical change might happen in the near future?
I would hope we could look and appreciate objects more as a sign of civilisation than as a commercial object, thinking weither we would really love to live with it, before wondering weither we can afford it or not.


Eléonore de Montesquiou
Plasticienne
Berlin

Ce qui m’intéresse-parce que bien sûr je fais le parallèle avec ce que je tente de faire-est le processus de construction de tes images. C’est-à-dire comment se cristallise visuellement l’image de l’objet que tu prépares ?
Est-ce une convergence entre ta vie, tes sensations, tes souvenirs, tes modèles et ton environnement (tant l’environnement du graphisme contemporain que tes souvenirs et ton environnement familial, social, voir
politique) ?
Mes objets sont souvent des surprises pour moi-même, dans le sens ou une grande partie de ce qui les nourrit est d’abord largement intuitif. Des intuitions que j’analyse, que je décortique pour chercher les résonnances possibles avec le monde que nous partageons, une recherche très orientée vers les aspects sensoriels visuels, tout ce que le regard peut évoquer à nos autres sens, une sorte de perception jouissive pour l’esprit.
Je ne suis pas dans le contrôle des perceptions mais dans le contrôle du “ corps “ de l’objet. Je cherche à être claire avec mes choix de nourriture, pas avec le mode de dégustation.

Les formes que tu crées sont produites en réponse à (j’ai seulement trois points en tête) la demande d’un client, l’utilisation par un public de l’objet, et ta recherche qui s’inscrit dans l’avancée du design contemporain avec son histoire et ses innovations.
Les deux premiers points sont d’origines diverses, et difficile à suivre, mais le troisième point est centré sur toi : la façon dont tu avances d’un objet à l’autre. Y a t-il un fil commun entre tous tes objets ? As-tu le sentiment d’avancer, de découvrir toujours plus et que toutes tes créations te font avancer toujours plus dans une direction. Si oui, laquelle ?
Difficile de cerner une quête, mais peut-être ce que je cherche, ce que j’attends, à chaque fois que je prends mon crayon, c’est d’être « connectée », de chercher les points de contact entre une idée, une forme, des matériaux. C’est la force de la matérialité d’un objet. Je crois comprendre que je m’adresse de plus en plus à cette matérialité comme lien entre les hommes, parce que c’est la relation qui accapare mon énergie, parce que je suis designer de la matérialité pas de la virtualité.

Est-ce qu’on peut parler en design, comme en art contemporain d’un débat, d’une discussion ? A mon sens, et plus j’avance dans cette pratique, plus travailler dans le domaine de l’art contemporain n’a de sens pour moi que si ce que je fais contribue à un débat (qu’il soit politique, social, ou esthétique, formel) et que ce débat n’existe pas encore (d’où mon intérêt pour l’Estonie et mon moindre intérêt pour la France où le discours est déjà si bien formé).
Les objets que tu crées sont-ils aussi des éléments critiques tant des formes graphiques/architecturales existantes que de nos comportements (pour le fond, tu t’adresses à des consommateurs... crées-tu leur besoin? Autre question d’ailleurs : le rapport au luxe et à la
collection : as-tu été confrontée à des acheteurs qui tout simplement ne pouvaient pas résister à l’idée de posséder un de tes objets ?)
Le débat, bien sûr, est un intérêt tout à fait partagé. Je crois que la question qui me stimule le plus est celle de l’articulation des questions face à un contexte, je pense que c’est là que nous avons une vraie raison de travailler.
Le contexte c’est la forme du projet, ses critères d’appéciation. Il nous appartient de réfléchir à « l’art et la manière », de déceler la matière vivante.
Pour ma part, je n’envisage jamais les autres comme des consommateurs ; je ne connais pas la valeur marchande de ce que je dessine, ou plutôt je ne l’envisage pas comme une donnée du projet. Ce que je cherche c’est la présence que pourra avoir cet objet, parfois discrète, parfois “ encombrante “, sa manière d’être entre nous, avec nous ou en dehors de nous.
C’est admettre le pouvoir de séduction d’un objet dans tout ce que la séduction comporte d’indéfinissable, fortement liée à la notion d’esthétique, mais une esthétique intrinsèque, relative, réflective.


Nestor Perkal
Designer
Paris

Quelle est la question que tu ne voudrais pas que l’on te pose ... ?
Posture ou Imposture ?

En souvenir d’une balançoire ...

“Je connais un arbre ...

Il existe un va-et-vient entre la posture et l’imposture qui évoque un jeu énigmatique.
Le juste équilibre entre la séduction et le dévoilement, l’évidence et le mystère.

J’ai dessiné un perchoir ample, suspendu, en boucle.
J’imaginais les conversations livrées au vent, les postures rassurantes ou impossibles, la sensation d’échapper à la gravité et à la terre stable.”

Mathilde Bretillot

POSTURES
IMPOSTURE
des histoires pour un jardin


Christian Ghion
Designer
Paris

Que t’a apporté, il y a quelques années, ton travail à 4 mains ? (temps perdu, expérience enrichissante, parcours du combattant, marathon, jeux de piste, jeux de rôle ...)
Cette période a duré 6 ans, c’est une tranche de vie. C’était d’abord une histoire d’amitié, de connivence, d’énergies partagées, de complémentarité.
Mais oui, c’est difficile de dessiner à quatre mains, il faut toujours ajuster, temporiser. Parfois le dessin peut se perdre dans ces aller et retour, parfois il s’en trouve enrichi.
Nous avons beaucoup ri, beaucoup travaillé, beaucoup partagé, peut-être trop …

Le collectif t’intéresse. Comme moi tu as le goût du partage et de la fédération. Quelles sont tes motivations pour ce type de projet et qu’en as-tu retiré à titre personnel et professionnel ?
J’ai découvert cela en enseignant à l’ESAD de Reims, un lieu de discussions sans détours, en toute confiance. Un lieu où nous échangions nos idées au service de la notion de transmission.
Nous participions au débat du design. C’est rare.
Je pense que toute entreprise collective, non axée vers la prestation pure, nous permet de “ prendre la température “ de nos motivations, de nos inspirations, de nos envies et de fomenter un débat, de proposer le tremplin d’un débat.
Je ne saurais vivre et travailler sans cette dimension. Cela nous permet d’être une force vive, de faire un “ arrêt sur image “ dans le temps filant, inconscient.


Elliot Sindall
Etudiant LCC
London

Pourquoi tu t’intéresses autant à la réflexion et à la lumière ?
Parce que c’est un état changeant de l’objet.
Il devient miroir vif ou éteint de son environement et revêt ainsi la “couleur du temps”.

On dirait que tu passes autant de temps pour ton travail professionnel que dans tes relations famille et amis.
Comment arrives-tu à trouver un juste milieu ?
Je ne m’inquiète pas du juste milieu. Là où je suis, je suis toute entière, c’est plutôt un rythme.
Assez fou, il faut reconnaître, mais si riche.
Je cherche à tenir le rythme en insufflant toujours une nouvelle dynamique, sur la forme cela peut paraître comme deux mondes mais dans le fond, c’est indissociable, c’est ma vie.

Pourquoi donnes-tu tant d’importance à l’éducation ?
Cette question est amusante si l’on considère qu’en français, éducation est apparenté à le “ fais pas ci, fais pas ça “ alors qu’en anglais ce mot renvoie à l’enseignement.
Mère de trois fils et professeur, j’ai donc le privilège de pouvoir relier ces deux notions.
Je pense que l’éducation, prise dans ces deux notions, est le nerf de la vie, que l’on peut s’appuyer sur des convictions fondamentales et que mon expérience me permet d’être en interrogation perpétuelle sur les “ manières de ”.
Je pense qu’accompagner la génération montante dans sa construction passe par des bagages dont la coque serait solide et le contenu interchangeable, réinventable.

Tu as rapporté d’Inde un objet fabriqué de façon traditionnelle mais imaginé à ta manière, illustré par des photos de cette journée avec un artisan indien. Quelle est l’importance pour toi de la fabrication artisanale du design en rapport avec la production industrielle ?
L’échange, la distance fragile entre faire et concevoir qui engendre une production non pas gérée mais temporelle, non parfaitement et froidement reproductible.
La conception et la fabrication de cet objet sont avant tout des expérimentations.


Catherine Vial
Architecte d’intérieur
Paris

Quelles sont les trois valeurs fondamentales que tu recherches chez les autres ?
L’intelligence,
La particularité,
Le goût de la vie.

Quel autre métier aurais-tu pu choisir ?
Ecrivain,
Rock star.

Quels sont tes plus beaux souvenirs professionnels ?
Le groupe Solid à Milan,
Le voyage en hélicoptère de Hong Kong à Macao, avec Philippe Starck,
L’ ESAD de Reims.

Seule sur une île déserte, que mets-tu dans ta valise ?
Un compagnon.

Quel souvenir olfactif le plus intense ?
Mon parfum muscé après un bain très chaud.

Quelle saveur culinaire préfères-tu ?
Une feuille de basilic qui remplace le noyau dans un abricot.

La matière ?
Douce, douce, douce.

Comment te définirais-tu avec trois traits de caractère ?
Une intelligence incisive,
Une grande humanité mêlée d’exigence parfois lourde pour les autres,
Extra violente et hyper douce, avec humour.


Marie Christine Dorner
Architecte d’intérieur - Designer
Paris Londres

Un bon génie sort de sa lampe aujourd’hui pour te proposer le contrat/projet que tu souhaites : que choisis-tu? (money is no object)
Je choisis :
L’aménagement d’une médiathèque pour la relation entre l’étendue des données et les frontières de l’espace.
Un flacon de parfum pour l’importance de la futilité.

Tu réfléchirais pas trop Mathilde ?
Ah bon ? tu trouves ? mais si j’arrête de réfléchir comment puis-je dessiner, aimer et choisir ?
Je réfléchis par goût et par nécessité, j’aime comprendre et parfois cela demande beaucoup d’effort et beaucoup d’imagination.
J’aime proposer autre chose mais comment être entendue sans réflechir aux moyens, aux possibiltés ?
Ta question me fait réfléchir...


OO
Olivier Vedrine et
Olivier Guillemin
Designers
Paris

Autour de la couleur :
Quand et comment la couleur intervient-elle dans tes projets ?
Est-ce important pour toi ?
Quelle est ta couleur préférée ?
La couleur est souvent inhérente au matériau ou en relation directe avec le matériau.
C’est bien sûr fondamental, elle permet d’identifier l’objet, sa violence, sa douceur … Elle sculpte aussi sa forme, sa silhouette, elle absorbe ou renvoie la lumière.
Elle a un impact très important sur la forme.
Mais la couleur n’est pas « abstraite ». Elle a une matière, une brillance, une matité, une épaisseur.
J’aime la couleur, les couleurs, toutes les couleurs, ça dépend des jours, je les choisis quand je peux les qualifier : sourdes, douces, violentes, talquées, diaphanes …
Ces qualificatifs accompagnent l’objet et les couleurs se prêtent au jeu.

Autour des genres, de la sexualité ... et du plaisir,
l’expression actuelle du design est-elle féminine ou masculine ? Des exemples liés à ton travail ?
J’ai toujours du « mâle » avec cette question …
Je pense que le design actuel cherche beaucoup à évoquer la notion de plaisir dans son sens le plus large mais ne réussit pas souvent à dépasser les signes caricaturaux :
Confort, excitation.
En ce qui concerne mon travail, je préfère la notion de sensualité.
Question de courbes, de poids, de consistence, et de COULEUR.

Quel est l’objet que tu trouves le plus aphrodisiaque ?
La Pomme de ...


Pier Angelo Caramia
Architecte - Designer
Paris / Cisternino ( it.)

Tu as vécu le Design “ habité ” et “ militant ”, qui était toujours la conséquence directe d’une culture de groupe des années 80 : Sottsass, De Lucchi, Bedin, Starck, Milan, Paris, Londres, etc.
Comment procèdes-tu aujourd’hui dans ton être designer et architecte d’intérieur dans cette nouvelle situation de fragmentation individuelle dans laquelle on opère ? Avec quel esprit, quel style de vie et avec quels moyens ?
Oui, comme toi, j’ai grandi sous les grands arbres …
L’individualité a toujours été importante même pour nos grands maîtres mais c’est vrai que cela nourrissait un débat ouvert, large et inspiré.
C’est peut-être pour cela que je cherche toujours les discussions, les rencontres, les projets en groupe.
Je trouve cette richesse dans l’enseignement et à quelques occasions bénies où je peux discuter avec mes amis designers. Parfois cela peut être des discussions lourdes et engagées ; parfois c’est très léger et beaucoup est dit, simplement. Je pense à nos échanges dans les Pouilles cet été lors du festival des sens.
Le résultat était précieux, si fluide et si porteur.
Je pense que nous sommes beaucoup de notre génération à avoir ce goût et je remarque que ceux-là vont justement passer du temps dans les écoles …
C’est là que nous avons l’espace pour la pensée.
Ces questions-réponses que j’ai engagé relatent bien l’importance fondamentale que je porte à l’échange et j’y prends un plaisir fou. C’est comme une conversation ouverte et en confiance, cela dépasse de loin les enjeux “ professionnels “.
Je pense aussi que nous ne pourrions pas faire cela sans avoir toutes ces années derrière nous, à nous croiser, à partager plus ou moins, à avoir connu Milan au même moment, à se retrouver autour de nos étudiants. Il y a beaucoup de vécu, beaucoup de richesse.

Le fait d’être une femme et aussi une femme qui a généré trois hommes intervient-il en quelque sorte dans ta pensée et dans la nature de l’approche que tu as dans tes créations ? Existe-t-il, à ton avis, une conception de l’espace et du design typiquement féminine ?
Non, je ne crois pas qu’il y ait de particularité féminine.
Par contre, c’est vrai que d’être une mère de trois fils et l’ainée d’une famille nombreuse emploie beaucoup d’énergie, me fait partager intimement beaucoup d’aspects de la vie. Cela permet aussi de relativiser les enjeux.
Ma pratique n’appartient qu’à moi et j’y tiens.
A la fin de mes études, je suis partie seule à Milan, laissant derrière moi une vie très confortable.
J’y ai découvert une énergie incroyable, comment une langue étrangère permet de permuter nos modes de pensées, comment passer des journées et des nuits à dessiner, à parler, à se connaître à travers le design.
Depuis, je ne peux plus me passer de tout cela.


Niels Peter Flint
Designer - Sustainable Design
Coppenhagen, Cormes ( FR)

Do you believe in angels ?
Which ones, the ones with fluffy wings or the ones which are so white and light and smily and smell of almond and jasmin ?
Maybe I enjoy thinking that some very special smiles I sometimes meet come from an angel just passing by.
It’s common in France to watch a baby smile and say : it’s smiling at the angels.
So yes, I believe in angels.

Do you want to travel with me inside the planet ?
No thank you, you know very well that I’m attracted by open grounds and no limit to the skyline.
For me, travelling is synonyme to outside, not inside, not introspection.
You go first and you will then know how much gold there is.


Martine Bedin
Architecte - Designer
Roma

Où est la véritable nécessité du projet de design aujourd’hui ?
Partout où il s’agit d’interroger les modes opératoires, l’articulation des données.
Nous avons écumé la ritournelle “des machines et des hommes” : une sorte d’aller-retour infernal sans but autre que son propre fonctionnement.
Nous nous interrogeons non pas sur la nécessité de produire mais sur la manière de l’envisager.
Le design s’infiltre, il vient déranger le rythme fou de la courroie d’entraînement.
C’est la justesse, la place, la pertinence de cette infiltration qu’il faut faire jouer, parfois avec humilité, parfois avec plus de violence.
Le design permet de moduler les perceptions, d’élargir les champs, de s’approcher des détails.
Les objets font acte de civilisation parce que nous les proposons pour vivre ensemble.

S’il y a un territoire du projet entre expérimentation et application, quel est-il ?
Je pense qu’il est difficile de comprendre le projet à travers plusieurs territoires distincts.
Le projet, c’est justement ce glissement de terrains, les terres mêlées, les tunnels, les ponts.
L’expérimentation interroge l’application et l’application n’a de sens que si elle suscite l’expérimentation.
Je dessine un objet en même temps que je perçois sa matérialité, sa consistance, sa présence possible.
Je conçois un espace en suivant la lumière, en cherchant les ouvertures, en protégeant les intimités.
L’expérimentation et l’application sont liées par une connivence.


Elena Massucco
Designer - Illustrator
Hastings (GB.)

At what point, when designing an object, do you decide that it is ready to be developed for production? How do you recognize that moment which allows you to take the project to the next stage ie: off the paper and into the prototype/model?
When, somehow it expresses clearly my first intuitions.

When you look back on your body of work, how do you think your approach has changed/improved?
Should I say maturity? Maturity towards the exitment, with much less worries, the enthousiasm has taken controll of fears.

Which do you consider to be your strongest piece of work? Is it also your favourite?
Maybe my strongest would be the coupe for the manufacture de Sèvres, for the design in conversation with the materials and the “Know How”.
Maybe my favourite is the screen in clear glass and miror, as you can both see through in front of you and get the reflection of the surroundings at your back then.
Yourself in the middle of all that …
a disorganised picture of it all …

You have collaborated on many projects with a variety of people in different countries/cultures. Can you tell us which project was the most challenging and why, and whether you felt happy with the result?
I suppose the TOP CLOUD in Seoul, far away, very rare and extra short stays. It meant all the plans and drawings had to be both accurate and sensitive. The coreans who are fast and not so precise could get a solid information and if amending details, appreciate by themselves weither they matched the “spirit“.
It was very exiting, a restaurant of 1 500 sqm and all the furniture and accessories designed for it.

Do you ever wish you were doing something completely different? If so, what would that be? And why?
NO.

What do you find most frustrating in the work process that you do? And the most satisfying?
Frustrating : having to talk about money and beeing so hopeless about it. Satisfying : getting quite close to people I work with or for, it’s always a relation of quality. Spend so much time on an object and when it’s there at last, leave it to concentrate on the one.

You have worked and collaborated with Philippe Starck. In the UK, a reality tv show called “Starck School of Design” has just started where Mr Starck invites 12 hopefuls to his school of design to compete with each other on projects. The prize is a 6 months placement in his practise. Why do you think he has agreed to do this show ?
I am sure he had the idea himself !


Gervais Jassaud
Ancien Directeur de l’ESAD de Reims
Editeur de livres d’artistes
Fréjus

T’arrives-t-il, juste pour ton seul plaisir, d’explorer de nouveaux territoires en rapport avec notre vie quotidienne et de développer des projets en dehors de toute commande ?
Si oui, peux-tu citer un exemple et nous expliquer comment l’idée t’es venue ?
Oui, j’ai commencé un projet de mobilier pour les lieux extérieurs en ville.
Je voulais réfléchir à des poses qui ne soient pas envisagées comme un équipement standard, sous le monopole de grandes marques, et toujours sans lien avec la particularité des villes.
Je voulais retenir le territoire, le terrain comme source d’inspiration.
J’ai choisi New York, d’abord parce que Central Park est une enclave très forte et particulière, comme une clairière dans la forêt d’immeubles. Puis j’ai vagabondé sous Brooklyn Bridge, aux bords de la Hudson River, dans les squares, un peu partout où il y avait de l’herbe, des arbres, de l’eau.
J’ai demandé à Eric Jourdan de partager ce projet avec moi et nous avons fait des dessins.

Que penses-tu de la tendance qui, aujourd’hui, conduit certains designers à développer de nouveaux produits dits « écologiques » comme par exemple le Lustre végétal d’Alexis Tricoire ou le … de Mathieu Lehanneur ?
Je me méfie des tendances …

Y aurait-il, selon toi, un art majeur du design, représenté par quelques créateurs inspirés liés aux avant-gardes artistiques ?
Oui, je pense que le dialogue art design existe, sans paroles, juste par perméabilité, peut-être le moyen le plus libre et le plus riche d’échanger : par les perceptions.
L’Art et le design partagent le territoire du ressenti.

Tu te retrouves le plus souvent devant un “cahier des charges” qui intègre de nombreuses contraintes techniques, dimensionnelles, fonctionnelles, budgétaires et de fabrication, cette situation n’est-elle pas enrichissante ?
C’est toujours un point de départ, il faut assumer ces contraintes pour mieux s’en libérer.
Le cahier des charges tente de fixer un cadre ou plûtot une liste de critères objectifs mais on sait bien que le suggestif est le seul moyen d’être objectif.
C’est cette prise de pouvoir sur le cahier des charges qui demande un engagement.

Peux-tu nous parler d’un de tes projets qui serait la résultante d’une succession de dialogues que tu aurais eus avec les représentants d’une entreprise commanditaire ? Comment ces dialogues ont influencé ton design ?
C’est particulièrement vrai pour le design d’espace. C’est une pratique qu’il est impossible d’envisager sans les échanges, aussi bien avec les personnes qu’avec l’architecture dans lequel ce projet s’inscrit. Le design d’espace est hautement sous influences, mais c’est un aller-retour d’influences.
Je pense aux très hautes baies vitrées de 9 m de haut du Top Cloud à Séoul, toute cette lumière à filtrer, à dresser selon les heures du jour et de la nuit, à la perception liliputienne du mobilier dans cet énorme espace. Le mobilier est devenu un mode de cloisonement léger, qui permettait la vision grand angle et macro à la fois.

L’enjeu du designer n’est-il pas de savoir intégrer les éléments disparates du cahier des charges tout en étant capable de les transcender dans son processus créatif en apportant une force d’évocation à l’imaginaire du public ?
Donc de séduire, mais aussi de rassurer et d’imposer subtilement une réponse qui dépassera les attentes de l’entreprise ?
Oui, il faut parfois insideusement infiltrer des détails qui vont devenir les portes paroles du sens du projet et devenir le moyen de toucher l’essentiel d’une attente qui n’a pas été exprimée.

La diffusion du design contemporain reste, me semble-t-il, toujours très limitée à une catégorie privilégiée de la société. Force est de constater par exemple que le fameux design italien est difficile à trouver dans le quotidien de l’italien ordinaire et qu’en France on ne fait pas exception.
Est-ce un problème de culture, de prix sur le marché, de coût de fabrication, d’une absence d’ouverture d’esprit d’un trop grand nombre de petites et moyennes entreprises sur la création contemporaine ou encore un blocage des commerciaux par rapport à la nouveauté ?
Je ne sais pas, ce n’est ni mon problème ni dans mes compétences d’avoir ce regard sur le marché.

Le design est «porteur de beauté», dit-on, car, dans le monde des produits, il est le médiateur entre l’industrie et l’art. Faire partager cette « beauté » est-elle une utopie ? Quelle est ton opinion de designer ?
D’abord le design n’existe pas seulement à travers l’industrie, il est partout même dans les sphères virtuelles.
Personellement, je pense que la beauté n’est pas une utopie mais une quête quodienne, dans tous les domaines. Il s’agit de pouvoir être comme un chien d’arrêt, interrompu dans notre course par la beauté, d’éveiller tous nos sens avant de repartir, autrement, plus entier, plus « rempli », plus prêt, plus heureux.
Et oui, je pense que certains objets, si on se cantonne au design, ont assez de valeur pour nous procurer ce bienfait.

Quel intérêt portes-tu aux nouveaux matériaux?
J’aime tous les matériaux et suis très interressée par le
“ traitement ” que l’on peut faire à partir de matériaux dits antiques, comme le papier par exemple.
Je trouve intéressant de réexplorer un matériau qui serait une ressource facile sur un territoire donné.

La mondialisation a t-elle une influence sur le regard que tu portes sur le design ?
Oui, dans le sens ou cela nous permet de sauter les frontières et je trouve cela formidable de commencer à envisager la planète comme un seul territoire où les différences seront d’un ordre nouveau.
C’est vraiment une nouvelle civilisation qui nous attend et que nous préparons tant bien que mal, c’est bien.
Pour répondre à la question, la mondialisation a pour moi une influence positive, cela nous permet de remettre en question de vieilles habitudes de designer.
Il faut regarder les comportements des plus jeunes, il semble qu’ils choisissent des moyens de communication entre eux qui seront la raison même de leurs échanges, ils semblent être davantage sur la forme que sur le fond, mais finalement ils créent la possibilité d’une coexistence fluide.


Aurore Markoswki
Graphiste
Paris

Et si tout était à refaire, le referais-tu ?
“Il faut tout inventer pour que tout soit comme avant”
“le guépard” Giuseppe Tomasi

Avant : dans le sens de tout ce qu’on a aimé, de tout ce à quoi l’on tient comme valeurs fondamentales, comme bagages de nous-mêmes, comme racines des civilisations passées.
Inventer : parce que nous changeons, parce que les temps changent, et qu’il faut imaginer d’autres environnements, d’autres langages, d’autres objets.


Thierry Couvrat Desvergnes
Galerie Couvrat Desvergnes
Paris

Comment dessines-tu le plafond ?
Des peintures rupestres au plafond de la chapelle Sixtine, nous avons considéré cette plage comme la meilleure échapatoire pour l’esprit, il est devenu le support d’un lustre lourd et coloré ou un ciel de leds.
Essayer de l’oublier, de le napper de blanc, de rien. C’est peut-être la seule surface que l’on peut protéger des décors, des objets, des meubles, des accessoires.
C’est une surface pour terminer un volume, en douceur.


Véronique Sonnier
Architecte d’intgérieur
Chargée du sourcing et du développement, image et communication
Toulouse

Qu’est-ce-qui te fait vibrer ?
La lumière.

Quelle femme admires-tu ? Et quel homme ?
Marguerite Duras, pour son intelligence et sa liberté acquise par la pratique de l’écriture.
J’ai plus d’admiration pour les femmes et j’aime les hommes.

Comment voudrais-tu être dans cinq, dix, vingt ans ?
Une surprise pour moi même.

As-tu de vrais amis ?
Oui, car je crois être une vraie amie.

Voudrais-tu changer de famille (because le poids) ?
Never, c’est le poids de l’or.

C’est quoi d’être l’aînée ?
C’est être consciente d’être une référence.

Que t’as apporté de travailler chez Starck, Bedin, Lovegrove ?
La proximité avec des pensées et des process très différents, d’apprendre à acquiescer pour se laisser embarquer dans un voyage que l’on n’aurait pas pu prévoir.

Qu’est-ce-que tu n’as pas accompli et que tu veux faire pour ne jamais le regretter ?
Former une équipe dont je ne serais pas le chef autoritaire mais le programmateur attentif.

Quelle est la forme qui te revient toujours chaque fois que tu commences un dessin ?
L’ovale.

Quel est ton tempo ?
Saccadé, exacerbé ou amorphe, sans mezzo voce.

Qui t’a donné l’envie de dessiner et de faire ce métier ?
Le théâtre pour l’imaginaire qui nous relie si bien au réel.

A quoi servent tous les objets que tu as faits ?
A faire parler et vivre la matérialité.

Veux-tu laisser une trace derrière toi ? Si oui, laquelle ?
Quelle est ta devise ?
Faire et construire, des choses matérielles aux relations immatérielles, c’est s’engager en toute humilité dans la danse,
ne pas faire tapisserie.


Corinne Albert
consultant
Paris

La mort joyeuse : si tu devais dessiner le cerceuil ?
Comme au moyen-âge, un radeau de bûches lourdes et de brindilles légères, un grand drapeau fait d’une toile trempée dans une bassine de teinture bleue, porté haut et dansant.
Et Le FEU, le feu à la vie, grand brasier fou qui part sur la mer. Comme on peut, boîte de pandore pour les tréfonds, une forme oblongue et douce comme une noix de cajou pour aller se lover en pleine terre. Comme on veut, urne, une compression de cendres.

La vie en rose : un berceau ?
Une petite roulotte dans laquelle un adulte aimerait se coucher pour partager avec son enfant cette envie du cocon et des rêves de voyage.

C’est quoi le travail pour toi ?
Vivre avec des enjeux.

L’argent ?
De l’or.

Le bleu ?
La couleur que j’ai autour de mon cou en ce moment, celle que je voudrai explorer.

Le rouge ?
La couleur que je connais bien avec laquelle j’ai fait tant de projets.

Ta définition du beau ?
L’Harmonie de l’assymétrie.

Tes peurs ?
Des peurs d’enfant.


Galerie Gilles Peyroulet & cie
Gilles Peyroulet et Dominique Chenivesse
Paris

Est-ce qu’une fourchette et un couteau sont des baguettes qui facilitent l’absorption des aliments ? Quel est le choix du designer dans cette problématique si quotidienne ?
Nous avons une attirance comparable pour les baguettes asiatiques et nos couverts occidentaux. Il se trouve que nous consommons de plus en plus souvent des mets venant du monde entier, bouchées préparées et grosses tranches de viande à découper.
C’est la gestuelle qui change ; l’une, douce, précise, légère pour les baguettes ; l’autre, plus violente, plus gargantuesque, plus généreuse pour les couverts.
Je trouvais intéressant de dessiner des couverts classiques mais qui se tiennent à une distance plus lointaine de l’aliment, permettant un geste plus élégant, trans-culturel.
Les couverts servent aussi à dresser une table, à lui donner un caractère. La double position des couverts sur la table permet un jeu de présentation.
Un beau couvert, le bon équilibre du poids dans la main, qui passe à la machine, que l’on peut ranger en vrac sans s’inquiéter d’un ordre de juxtaposition, « un objet qui ne se voit que lorsqu’on s’en sert… ».


Jacqueline Poite

Mathilde chérie, honnêtement je n’ai pas compris ta demande, ne sachant pas surtout à quoi elle allait servir, pardonne donc à ta vieille marraine.
Nous vivons dans deux mondes ô combien différent, mais nous nous retrouvons sur l’essentiel : la création artistique au service du beau qui devient, avec le temps et l’esprit de ses créateurs, au service de tous dans ce que nous avons d’aspiration à dépasser notre horizon réducteur.
Je regarde ton invitation, elle ne parle que de toi (c’est le but). Ce que tu es, ce que tu as reçu, mis au service du beau, de ce qui est en devenir, qui fait bouger les lignes.
Puiser en soi n’est pas évident, c’est ce que tu sais faire grâce à ton coup de crayon, ta liberté de penser, de créer, ta curiosité de l’autre, des autres. Bien sûr, il y a évidemment un choix élitiste, exigeant pour toi bien sûr et aussi pour les autres !!!
Mais parmi ces autres, il y a l’enseignement que tu remets sans cesse au centre de tes démarches. Il me semble que dans tes multi-facettes, la faculté de convaincre de l’utilité de la création artistique est un axe fondamental que tu souhaites partager.


télécharger le livret